Wall Drug, la ville-magasin
Article rédigé le 21 décembre 2013 , mis à jour le 5 juin 2024
Wall, sur l’interstate 90, est une ville comme vous n’en avez jamais vu. On connaissait les villes-musées, les villes fantômes. Non, Wall est une ville-magasin. Les rues de cette petite bourgade du Dakota du Sud, non loin des Badlands, ont été entièrement transformées en un immense centre commercial, un lieu de pèlerinage pour tous les routards qui empruntent cette longue et ennuyeuse I-90.
Rien de folichon ? Sauf que le Wall Drug, puisque c’est comme cela qu’on l’appelle, a su entretenir sa renommée. Les Etats-Unis ont le don de créer de la légende, de l’histoire, parfois à partir de si peu. Et c’est ce dont il est question à Wall. De ça et de matraquage publicitaire…
Des panneaux, une tradition
C’est simple. Vous ne pouvez pas rater le Wall Drug à moins d’être aveugle. Pour notre part, On arrivait des Black Hills et tous les 500m, sur plusieurs dizaines de kilomètres, un panneau nous vendait Wall, son drugstore, l’eau fraîche gratos, et le café à 5 cents. Un défilé complètement ahurissant.
Forcément, on est sorti à Wall (exit 109 ou 110) pour voir ça de nos propres yeux. Et là, si vous vous sentez oppressés en rentrant dans un magasin de souvenirs, tournez les talons. Car, c’est LE magasin de souvenirs. Sur toute la rue principale, dans des dizaines de bâtiments aux ambiances différentes (7000m2 tout de même), s’étale tout le consumérisme à la ricaine dans la plus grande incohérence.
Il y en aura pour tout le monde : du cowboy, du dinosaure géant, des fossiles, des photos d’époque, de la bouffe, des bonbons, des manèges, des figurines qui s’animent, des animaux empaillés et je ne sais quoi encore. C’est complètement déjanté, kitsch, bordélique, roccoco et du coup, ça tient presque de l’oeuvre d’art absurde. Jusqu’à la nausée, c’est le genre d’endroit où ma durée de vie est aussi limitée qu’un piéton sur l’A7 un 15 août.
Ne manquez pas le jackalope géant
On s’arrête devant les photos d’époque (à ne pas rater), devant la chapelle (oui, oui), avant de filer dans la cour où trône a milieu des jeux d’eau un Jackalope géant, cet animal imaginaire à mi-chemin entre le lièvre (Jackrabbit) et l’antilope (Antelope). Après avoir grimpé dessus pour la photo souvenir, on achète deux stickers, un bottle cooler et quelques colliers.
Alors, le Wall Drug est-il juste un attrape-touristes (deux millions par an, tout de même) ? Une immense machine commerciale à refourguer du made in China aux voyageurs qui veulent rallier le Mont Rushmore ? Oui et non. C’est aussi un morceau d’histoire des Etats-Unis, que voici.
Retour en 1931
Et cela remonte à décembre 1931 lorsque Ted Hustead, natif du Nebraska, rachète le petit drugstore de Wall, aux portes des Badlands. Ce fervent catholique a 3000 dollars en poche, hérité de son père. Le commerce vivote, au point que la famille se donne un délai de cinq ans avant de plier bagages. Puis sa femme Dorothy, en juillet 1936, juste avant cet ultimatum, a une idée : faire de la publicité sur l’autoroute (offrir de l’eau fraîche) pour attirer les voyageurs qui viennent à la rencontre du tout nouveau Mont Rushmore, à une centaine de kilomètres de là.
Le début de la renommée et de l’expansion du petit commerce : musée d’art du western, la chapelle, un dinosaure (apatosaurus) de 24 mètres que l’on aperçoit depuis l’interstate. Pendant ce temps, les panneaux publicitaires se multiplient sur la route à des centaines de miles à la ronde. Selon Wikipedia, il y en a tout le long des 1000 km d’interstate entre le Minnesota et Billings (Montana). Coût estimé : 300 à 400 000 dollars par an. On retrouve de la pub sur les bus londoniens et dans les gares du Kenya.
Kilroy was here…
Cette frénésie a tourné au petit jeu grâce à un GI lors de la deuxième guerre mondiale. Peu à peu, chaque dessin « Kilroy was here » (voir l’explication de ce graffiti) était accompagné de la distance que le séparait du Wall Drug. Partout dans le monde, des quidams plantent des panneaux Wall Drug avec le mileage estimé jusqu’au paradis de l’eau fraîche. Irak, Afghanistan, Antarctique, Taj Mahal…
Wall, 766 habitants aujourd’hui, est connu grâce à son drugstore. Aujourd’hui, cet immense mall offre toujours de l' »iced water » aux voyageurs et un peu plus (café, donut) aux jeunes mariés, aux vétérans, aux prêtres ou encore aux camionneurs.
Ted Hudstead est décédé en 1999 à 96 ans mais le commerce est resté dans la famille. Dans son ouvrage de 1989, « The Lost Continent : Travel in small-town America« , la référence Bill Bryson a écrit : « C’est un endroit horrible, un des pires attrape-touristes au monde, mais je l’aime et jamais je ne dirai quelque chose de négatif à son propos« . Un morceau d’histoire, on vous dit.
À moins de 40km
Vous aimez ce qu'on fait ?
Nos articles vous sont utiles ?
Soutenez Lost in the USA en nous offrant un petit pourboire pour que l'aventure continue !
1 commentaires